Quel équilibre entre la réalité et mes attentes envers mon chien ?

par Déborah Gaudelet

 

 Lorsque l’on souhaite exercer en tant qu’éducateur canin, nous passons forcément, un jour, par la case “chiot”. Ce chiot deviendra, selon les façons de travailler, notre partenaire de travail. Mais pour être réellement honnête envers nous-mêmes, il est également une sorte de test pour vérifier nos acquis. Par conséquent, nous mettons énormément d’attentes vis-à-vis de lui. Je me concentrerai ici sur ces points précis. Cela ne doit pas occulter le fait que cet être sensible fera partie de notre vie comme un ami, comme un membre de notre famille que nous nous devrons de respecter. Les différentes casquettes, que nous lui attribuerons, nous feront commettre des erreurs car l’équilibre entre nos attentes et la réalité sera très difficile à trouver.

 Je souhaite pouvoir travailler avec mon chien, une fois que lui et moi serons prêts à le faire. J’ai suivi plusieurs formations avant de me décider à l’accueillir chez moi. Une formation comportementaliste, plutôt théorique, qui m’a permis d’en apprendre plus sur le Chien en général, également une brève formation d’éducateur canin sur terrain. 

 Néanmoins, la formation d’un éducateur canin ne se fait pas sur quelques semaines, surtout si nous désirons devenir compétent, et j’ai la chance d’avoir pu suivre pendant plus de deux ans, Laura de L’Empreinte, une éducatrice comportementaliste professionnelle dans son quotidien. Et je continue de me former grâce au nouveau collectif  “Le Monde du Chien”.  J’ai énormément appris et au bout d’un an, je pensais être suffisamment armée afin de me lancer dans l’aventure du chiot qui deviendrait par la suite mon collègue de travail.

 Alors, pour être honnête, effectivement j’avais suffisamment fait de progrès pour tenter l’aventure. Ce que je ne soupçonnais pas cela dit, c’était les diverses difficultés que j’allais rencontrer. Et les difficultés ne sont probablement pas celles que vous vous attendez à lire…

 J’ai choisi de travailler avec un berger allemand pour les capacités qui lui sont reconnues, pour sa proximité avec l’humain et aussi pour ses outils de communication dus à sa morphologie. Après quelques visites d’élevages, mon choix s’est porté sur le seul mâle issu d’une portée de 3 chiots. L’avantage d’une si petite portée est que les chiots ont pu bénéficier du lait maternel en plus grande quantité et d’une maman plus disponible. L’inconvénient néanmoins est qu’une maman plus disponible n’a probablement pas été obligée d’insister sur la frustration. Je reviendrai sur ce point plus loin.

 Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières. C’était un chiot calme qui découvrait son environnement en prenant son temps. Le temps passé avec lui en extérieur était très agréable. Il me suivait plutôt bien. Ce n’était pas un chiot qui faisait des “bêtises” non plus, il a été propre assez rapidement. Ayant aménagé mon quotidien pour pouvoir m’occuper au mieux de lui, j’ai pu m’appliquer à bien combler ses besoins exploratoires en respectant le rythme de son développement. Je l’ai porté tant que j’ai pu pour préserver ses articulations. J’ai veillé à ce qu’il apprenne aussi à rester seul même si ce n’est pas quelque chose qui arrive très souvent car il passe son temps avec moi, soit en balade, soit au terrain, soit il m’attend en voiture. J’ai tenu à l’emmener partout où c’était possible pour le socialiser. Il est venu quelquefois au restaurant par exemple, en salle ou en terrasse. Ses besoins sociaux aussi sont au centre de sa vie. Dès ses 9 semaines, il a commencé à rencontrer des chiens, toujours sélectionnés afin que les contacts lui soient bénéfiques et/ou constructifs. Je veille encore aujourd’hui à ce qu’il côtoie les chiens qu’il apprécie le plus.

 J’ai évité tout ce qui aurait pu réveiller et renforcer les comportements prédatoires chez lui car même si cet instinct est inné, je vis aussi avec un croisé chihuahua de 4 kg… J’ai tellement voulu bien faire les choses que je me suis mis une pression de dingue et que j’ai évidemment quand même fait des erreurs. Et je paye mes erreurs depuis sa période adolescente. 

 Ma première erreur a été de lui avoir tout donner, trop donner. En me mettant une telle pression, j’ai fait passer mon chien avant moi. Et cela ne lui a pas du tout rendu service. Il est impératif de s’investir pour le bien-être de son chien, de respecter ses besoins mais il est tout autant impératif qu’il apprenne à s’adapter à votre vie. J’entends bien que le chien n’a pas choisi de venir vivre dans notre foyer et que nous nous devons de nous adapter à lui, à l’individu qu’il est. Cependant, je pense qu’il faut trouver un équilibre dans cette adaptabilité. Nous le faisons vivre dans un monde d’humains et le chien n’est pas fait pour rester des heures entières enfermé et seul, donc si vous souhaitez pouvoir l’emmener presque partout, tout en gardant une vie sociale à vous, l’idéal est quand même qu’il soit lui-même suffisamment adaptable pour cela. 

 Comme je l’évoquais plus haut, il est issu d’une portée de 3 chiots, et je pense finalement que ce n’est pas le meilleur début de vie car la frustration n’est pas la même qu’avec 10 chiots. La frustration fait partie du quotidien de n’importe quel individu. Elle doit être gérée émotionnellement afin de ne pas en souffrir. J’ai donc travaillé certaines frustrations mais j’ai fait l’erreur de ne pas faire suffisamment de choses différentes. Et surtout, je ne l’ai pas suffisamment mis en situation où il n’irait pas voir le chien. Sa socialisation avec ses congénères me tenant énormément à cœur, il a été très régulièrement au contact de chiens depuis ses 9 semaines.

 Aujourd’hui, mon chien gère certaines frustrations hormis celle qui demande de ne pas aller rencontrer le chien, qu’il soit connu ou non, côtoyé tous les jours ou non. C’est un chien assez émotif et il a donc du mal à se gérer émotionnellement lorsqu’il ne peut pas rencontrer ou pas rencontrer tout de suite. Son poids et sa taille sont aussi assez vite devenus un problème car il a gagné en puissance au fil des mois. 

 Ma deuxième erreur a été d’attendre énormément de lui dès tout petit. J’étais persuadée que s’il ne faisait aucune erreur lui-même, il apprendrait plus vite. J’ai mis beaucoup de contrôle, souvent par crainte de l’environnement. Lorsque je lui demandais quelque chose, s’il ne le faisait pas assez vite, je le faisais pour lui. Faire pour son chien ce n’est pas lui apprendre. Vers ses 9 mois, il me suivait bien en balade mais ne m’écoutait pas vraiment.

 Mes attentes trop importantes envers lui ont abîmé notre lien et m’ont empêché d’aller à sa rencontre en tant qu’individu. J’ai de suite voulu qu’il soit comme ci ou comme ça, sans vraiment l’observer pour apprendre qui il était. Heureusement que je suis on ne peut mieux entourée et que grâce à ces personnes j’ai pu ouvrir les yeux et réaliser que j’allais dans le mur en continuant sur cette lancée. Parce que malgré tout cela, mon chien était volontaire pour bien faire pour moi, il avait vraiment envie de bien faire.

 Nos attentes doivent elles-aussi s’adapter au fur et à mesure que notre chien grandit et à ce que nous découvrons de lui afin de tendre vers plus de cohérence et plus de justesse. Je l’avais bien appris en formation et pourtant j’ai merdé… Il m’a fallu alors revoir mes attentes, reprendre des demandes faciles et encourager chaque progrès et surtout féliciter à chaque fois qu’il réussissait quelque chose. Je m’en suis d’abord voulu et puis au lieu de culpabiliser, j’ai repris les choses une à une. Aujourd’hui, nous sommes en train de trouver notre équilibre et je découvre chaque jour un peu plus le chien formidable qu’il est.

 Ma troisième erreur, et c’est celle qui est le plus difficile à travailler pour moi, est de lui octroyer une place qui ne devrait pas être la sienne. J’ai vécu une dizaine d’années sur une île quasiment paradisiaque et j’étais heureuse en couple. Après une séparation douloureuse et un retour sur le continent, une longue période difficile émotionnellement a suivi. Mon projet de reconversion, les chiens et les personnes que j’ai rencontré en venant sur le terrain m’ont aidé, m’ont porté afin de passer cette phase désagréable. Au bout de 2 ans, la blessure est guérie mais la cicatrice reste fragile. Et lors de l’arrivée de mon chiot, elle l’était encore plus qu’aujourd’hui. 

 J’ai inconsciemment reporté sur lui ce que j’ai perdu en quittant mon île et il est évident qu’il représente bien plus pour moi qu’un simple partenaire de travail. Mais ce n’est encore une fois pas lui rendre service. Ce n’est pas son rôle de servir de pansement émotionnel… je lui ai déjà mis beaucoup sur les épaules… C’est donc quelque chose que j’ai travaillé en suivant une spécialiste, afin de retrouver mon propre équilibre. Grâce auquel, je serai plus facilement en mesure de lui proposer, à mon sens, une meilleure vie.

 Je terminerai en disant que se former à devenir éducateur canin nous permet d’apprendre à savoir ce qu’est un chien, de connaître les besoins liés à son espèce. Mais cela n’exclut pas de commettre des erreurs car lorsqu’il s’agit de notre propre chien, il y a le facteur émotionnel à prendre en considération. Il ne faut surtout pas oublier que le chien est un être vivant, qu’il faut pouvoir adapter nos attentes et nos demandes en fonction de lui, de qui il est et non en fonction de qui nous voudrions qu’il soit. Il ne faut pas non plus complètement oublier l’être vivant que nous sommes pour ne pas sombrer dans une sorte de dépendance vis-à-vis de ce compagnon. 

 Commettre des erreurs n’est pas une fin en soi car cela permet d’apprendre, mais il faut avoir l’honnêteté et le courage de les reconnaître afin de les corriger et d’évoluer. Comme pour toute relation, quelle qu’elle soit, trouver un équilibre est, selon moi, primordial afin de vivre cette relation le plus harmonieusement possible. Et demander l’adaptabilité à son chien que nous-mêmes sommes en mesure d’appliquer.

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